Voyage à Buenos Aires  /  Eté 2010

 

Liliana Barrios / Une rencontre ... / Vieilles habitudes / Los Immortales

Malédiction ? / Les Milongas / Jambe de bois / La musique

Le charme de BA / Une bonne adresse / Sale quart d'heure / Bébé va bien

Le Bar Sur / La cata ! / Zonage / Positivons / La Boca /La Cathédral / Philosophie

 

 

L´impression désagréable d´être transparent ! L' hôtesse passe dans le couloir de l´avion et explique à tous les voyageurs en correspondance, les modalités de leur transfert à Roissy ... à tout le monde ... sauf à moi ! Un scandale ! A l´affut de l´opportunité de lui faire remarquer, avec toute la gentillesse dont je suis capable dans ce genre de circonstance, j´entends un passager derrière moi annoncer sa destination pour Buenos Aires. Aussitôt, délaissant la remarque assassine que je concoctais à l´égard de la méprisante, je propose à cet inconnu, de le suivre pendant le transfert : Chose dite, chose faite, ... au pas de course : visiblement un homme d´action ! Séparés dans l´avion, nous nous retrouvons au petit coin bar séparant les classes touristes et business. Après les banalités d´usage, il m´apprend qu´après une carrière universitaire comme enseignant dans le domaine de la philosophie politique, il dirige une entreprise dans le secteur du matériel chirurgical, se partageant entre Buenos Aires et son mas dans les Alpilles. Certains parcours réservent des surprises. Le personnage est sympathique et laisse transpirer une culture que l'on devine immense. La conversation dérive inévitablement vers le Tango et je découvre que son épouse est chanteuse et de renom : Lilliana Barrios : mondialement connue. A l´arrivée mon compagnon me propose, fort aimablement de partager son taxi, lequel, Mac Book aidant, est vite transformé en auditorium de Tango. Lilliana a gravé, en effet, plusieurs CD, dont le plus connu : Troíloeana. Elle se produira, au bal du "Pont du Gard" le 15 Aout prochain. La conversation continue sur le thème du Tango, et sur son histoire. Mon compagnon évoque alors un projet de jumelage qu´il serait possible de mettre en place entre une ville d´Argentine célèbre pour son histoire et sa place dans le monde du Tango, et une ville Française. Il me propose de réfléchir à cette possibilité, voire de prendre les premiers contacts. Je m´engage à le tenir informé, dés mon retour : du travail en perspective, mais un beau projet pour le développement du Tango en France.

Nous nous séparons, promettant de garder le contact. Le voyage commence bien.

 

 

Une rencontre ...

 

Un froid épouvantable ! ... pour Buenos Aires: Ils ne parlent que de ça à la télé. Enfin presque. Débat houleux à l´assemblée qui s´apprête à voter une loi sur le mariage homosexuel. L´Argentine va être le premier pays d´Amérique du Sud à l´autoriser. Autre grand sujet : Maradona vat-il se faire virer ? Il semblerait que non, en tous cas, il s'accroche. Ça me rappelle quelque chose. Un grand psychodrame télévisuel en perspective. Je m'arrache de la télé. Un ami, Carlos Golluscio, de l´orchestre " La Otra Verada ", joue à la Confiteria La Ideal. Dehors, les cartoneros se sont fait un rempart contre le froid avec d´énormes sacs poubelle. A l´intérieur de la Confiteria, l´ambiance est surréaliste : impossible à chauffer avec ses immenses plafonds, la Milonga est une glacière. Quelques courageux, happés malgré tout par la musique, esquissent quelques pas de tango ... en doudoune. Je me réchauffe avec un mauvais whisky, salue mes amis et rentre vite me coucher, je ne sais pourquoi, j'ai un peu mal à la patte.

" Peur de rien, craint dégun ", je rentre néanmoins à pied.

Au détour d'un carrefour, éclats de voix, éclats de rire : deux " cartoneros " travaillent d'arrache-pied en se racontant ce que je suppose être des blagues. Un échange de coups d'œil, ils ont l'air sympathiques. Je m'arrête et sort mon arme fatale (qui se révèlera à double tranchant, on le verra plus loin dans le récit, à la Boca) : une cigarette ? Nos deux compères acceptent, on échange nos prénoms et quelques banalités sur le froid qui bat des records. Je leur demande si je peux les prendre en photo. Etonnés, ils acceptent. Regardez bien la photo de cet homme qui vit dans un bidonville (il y en a encore plus cette année à Buenos Aires) : rencontrez-vous souvent un tel rayonnement dans le regard et un tel sourire chez nos concitoyens, pourtant hyper protégés, nantis à bien des égards par rapport à la plus grande partie du monde, et toujours à râler ...

Je les quitte, un peu perturbé.

Racontant mon aventure à mon ami Marcelo Rojas, il est étonné que je n'ai pas eu d'ennui, et après réflexion, il me dit : "finalement c'est parce que tu es allé vers eux et que tu les as respecté". Le respect, le seul luxe restant aux déshérités. Je reste perturbé pendant tout le séjour, et le suis encore en écrivant ces lignes. Ce voyage ne prend pas l'allure des précédents ...

 

 

Retour aux vieilles habitudes

 

Retour à la Confiteria : pas de changement. La réfection de l'endroit fait toujours partie des projets dont on ne voit jamais le commencement : le procès sur la propriété des lieux (en principe gouvernement) dure depuis ... 80 ans. Hernan m'apprend que sous la Confiteria existent encore des souterrains qui iraient jusqu'à l'Obélisque ! Plusieurs monuments de Buenos Aires possèdent ainsi des souterrains, survivance de périodes troublées : ils permettaient, soit la contrebande, soit de s'échapper en cas d'attaque. Ainsi le couvent des pères Recollets et de nombreux autres couvents en possèdent. De même il en existerait sous le ‘Mercado Viejo’ (Alsina y Perú). En 1885, un soldat racontait avoir emprunté un souterrain long de 1300, allant de la Iglesia del Socorro, jusqu'à Recoletta. Il semblerait que Buenos Aires en soit truffée, la plupart encore inconnus. Ceux du couvent Jésuite "Manzana de la luces" se visitent http://www.manzanadelasluces.gov.ar/ .

Mais revenons au Tango : Marcello, le disquaire du Jeudi, est vraiment excellent ! Pas étonnant qu'il soit demandé un peu partout en Europe : de Copenhagüe à la Grèce, en passant par l'Italie, et le Chantier à Paris, il est énormément apprécié. Il m'avait proposé de venir à Marseille. Mais l'éparpillement de la clientèle des Milongas de la Citée Phocéenne, limite les possibilités d'investir de l'argent pour des soirées réunissant au mieux une soixantaine de participants ... trop de monde sur le marché, tue le marché. Tant pis, je vais en profiter ici. Il parait qu'il a insisté auprès d'Hernan pour que je danse en démo, dans sa soirée, dans dix jours. Ah oui, détail oublié, je dois faire une démo à la Confiteria la Idéal. Un poil de pression, mais on est rôdés, ma cavalière sortant d'accouchement, s'est remise en un rien de temps, et assure un max ! Moi j'ai un peu mal au pied gauche, mais je mets ça sur les douze heures d'immobilité du voyage en avion ; sans doute une mauvaise position en dormant. J'en ai vu d'autres !

 

 

Un autre type de rencontre ...

 

J + 3 Il faut quand même se nourrir, et il fait de plus en plus froid.

Délaissant le " Rey de la Patata Frita ", je pénètre dans le restaurant " Los Immorales " . Repas léger, Bife de Lomo de 500 g sauce au poivre, et pommes de terre à la crème.

J'ai honte ... enfin pas trop ...

La décoration est soignée, la cuisine excellente. Les murs sont ornés des photos de personnages illustres ayant hanté les lieux : un vrai livre d'histoire ; on est plongé dans le passé, témoin de tout un héritage culturel.

Je rêve un peu, voyageant par l'esprit au travers du siècle dernier.

De nouvelles arrivantes attire mon attention : trois jeunes femmes se sont installées et aussitôt ouvert, chacune, un ordinateur. J'avais remarqué à quel point, l'informatique et l'électronique de loisir, s'étaient développés depuis un an. Le laptop est devenu la norme chez beaucoup de jeunes ... fortunés.

Le décalage entre la décoration et ces trois jeunes femmes au modernisme affiché, m'interpelle. Je les aborde. Ce sont trois jeunes avocates ou juristes, qui m'autorisent gentiment à les prendre en photo. Elles symbolisent parfaitement ce que l'Argentine d'aujourd'hui m'envoie comme image de son identité : un pays en pleine mutation qui mélange tradition et modernité.

De plus ces jeunes femmes sont magnifiques ! Peut être l'une d'elle deviendra célèbre et aura un jour sa photo sur ces murs ... ?

 

 

 

79 chaines à la télé  ! ... mais pas bien terribles. Le psychodrame de l´élimination du Mondial tourne en boucle, et l´avenir de Maradona semble bien  incertain (malgré tout il s'accroche, ça me rappelle quelque chose …). Les Argentins se passionnent pour ... le Tour de France !  Qui l'eut cru ? La présidente voyage en Chine et se félicite des accords de coopération commerciale signés à cette occasion : à votre avis, qui de la Chine ou de l´Argentine, mangera l´autre ?

Au moins le président Chinois a assisté a`une démonstration de Tango …

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Une malédiction ?

 

Retour à Puerto Madero.  Je passe de l'autre côté des darses : le changement est étonnant depuis l'année dernière. Le quartier se développe à une vitesse impressionnante. Toutes les grandes multinationales s'y implantent, les immeubles de plus en plus élevés ... les prix dans le quartier aussi. Pourtant à y regarder de plus près, des détails choquent. des constructions qui ont moins de deux ou trois ans présentent déjà des petits signes de malfaçon ; les carreaux des trottoirs au sol, à peine posés sont déjà disjoints ; saleté et clochards envahissent certains recoins. Un ancien cadre Français me le confirme : tout le monde passe son temps à réparer dans la ville. On dirait qu'il y a une sorte de malédiction qui pèse sur le travail à Buenos Aires. Les Argentins ne sont pas feignants, loin de là. D'après Pilar qui tenait une "Maison de Tango", la grande crise économique et bancaire précédente, de 1998 à 2002, est la responsable de la perte d'une grande partie du savoir faire des différents corps de métier : tout le monde bricolait de droite de gauche pour arriver à survivre, et les artisans qualifiés n'arrivant plus à travailler suffisamment, se tournait vers d'autres activités plus rentables à court terme. C'est une explication, mais je crois qu'il y a aussi une "empreinte culturelle" qui fait que l'on va plus facilement chercher la perfection dans les domaines artistiques que purement industriels. De toutes façons je ne suis pas là pour faire un audit sur le BTP local, mais pour rencontrer le Directeur du Musée de la Frégate Sarmiento et tenter d'éclaircir un mystère qui me travaille : plusieurs historiens affirment que l'arrivée du Tango en Europe s'est faite par l'intermédiaire des marins de la Frégate Sarmiento, pendant une escale à Marseille, lors du voyage inaugural du navire en 1906. D'abord le voyage inaugural de la Frégate eut lieu en 1899 ! et ensuite il n'est jamais fait mention dans les archives d'une escale, en 1906 à Marseille, mais en 1900 à Toulon.

Je rentrerai en France sans l'information, bien décidée à l'obtenir par toutes formes de harcèlement épistolaire envisageables.

 

 

J'ai pas mal marché, et ma jambe gauche me fait mal ... pas normal ...

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Milongas tristounettes ?

 

 

J'attaque les classiques : Canning, Gricel, La Confiteria, etc ... J'y croise un touriste désabusé qui me dit : " dans les Milongas il n'y a d'habitude que des vieux et des touristes ; cette année avec le froid, les vieux meurent plus vite, et les touristes ne sont pas là" . Bonjour l'ambiance. C'est vrai, globalement ce n'est pas tous les soirs partout la fête. C'est normal, on se gèle ! Mais franchement il exagère ! Certains soirs, même, il peut être hasardeux de ne pas réserver. Bien sur, même pleines, certaines Milongas, avec leur côté très organisé, séparant les hommes d'un côté, les femmes de l'autre, les couples mariés d'un troisième, manquent totalement de convivialité et procède plus du rituel, et d'une forme de "Musée vivant du tango" que des lieux où rencontres enrichissantes et plaisir de danser peuvent se côtoyer. Ce n'est qu'un avis personnel. En tout cas à la Confiteria la Ideal, il y a ce côté informel que j'aime bien, qui permet de s'assoir quelque instant à la table de sa partenaire d'une tenda, où à celle d'un groupe avec qui échanger.

C'est là que je rencontre Libertad et son mari. Je les avais remarqué sur la piste : plus tout jeunes, sans effets chorégraphiques compliqués évidemment, mais toujours justes au plan du rythme et de la musique : de vrais danseurs. Ils m'ont plu tout de suite, je les ai photographié, et ensuite abordés. Juste quelques mots pour ne pas les importuner (malgré leur âge ils ne ratent pas une tenda). Ils m'ont m'expliqué qu'ils étaient mariés depuis 53 ans (!).Je pense qu'ils doivent être sur les pistes depuis encore un peu plus longtemps ... Dans l'ambiance un peu triste d'un hiver particulièrement froid, ils ont l'air toujours aussi heureux de danser, et rayonnent de bonne humeur : un exemple à suivre ! C'est décidé on va garder le contact.

Pour changer d'ambiance, passage à "Tango Queer". Changement autant de décor que de rôle pour les danseurs. Le niveau de danse est comme la température : très proche de zéro, mais l'ambiance est bon enfant, tout le monde s'amuse, les gens font la fête, ça fait du bien. Comme ailleurs, la grande mode c'est la Cumbia. C'est vrai que les Colombiens sont de plus en plus présents à Buenos Aires, y compris dans le milieu du tango. Certaines Milongas comme Gricel en mettent deux ou trois d'affilée. La Cumbia ce soir là finit en farandole et dans un grand délire collectif : rafraichissant.

Je note en partant le prochain concert d' " El Afronte ". Ils viennent de sortir un nouveau cd. Pas toujours facile à danser, leur musique est d'une grande richesse et leurs arrangements sophistiqués : j'adore !

 http://www.elafronte.com.ar/  

 

 

 

Jambe de bois, moral au plus bas !

Hier soir ça tirait dur : ma jambe gauche me fait mal, type sciatique avec un pied qui enfle. Je suis obligé d'annuler la semaine intensive que je m'étais programmé, en milonga traspie : la merdia ! Du coup j'ai un moral très en dessous de zéro, une remontée brutale sans dépressuriser risquant d'être dangereuse,  je décide de rester prudemment dans les eaux troubles et profondes de la morosité : aujourd'hui je me fais les cimetières ! Commençons par la Recoleta. Un taxi me dépose Plaza Francia. Pour parfaire le décor, une pluie fine et un peu glacée à fait fuir les artisans de l'habituelle Feria. Je décide de commencer ma visite par un petit tour dans l'église "Nuestra Señora del Pilar" et le couvent des “Padres Recoletos” qui ont donné leur nom au quartier. Petit mais magnifique !

 

Je dois ressembler à un vieux pirate qui hante les cimetières : je traîne une jambe de bois qui commence à m'inquiéter. Je suis obligé de marcher avec les lacets de ma chaussure défaits, mon pied est enflé. L'expression "avoir un pied dans la tombe" me vient à l'esprit, et me fait marrer ! C'est l'endroit idéal. Certes un cimetière ce n'est pas folichon, mais c'est reposant (le choix de ce mot ...).

Certains mausolées sont magnifiques, avec des statues grandeur nature de leurs occupants, impressionnantes de réalisme. Il est vrai que maintenant pour finir ici, il faut être très célèbre et/ou très riche ! Cimetière de luxe : comme quoi, même après la mort les inégalités perdurent ... Je pars en quête de la tombe d'Eva Peron. En ces temps de crise et de vie difficile, son souvenir est très présent dans l'esprit des Argentins, et le parti politique qui se prévaut de ses idées, est très actif sur le terrain. Dans quelques jours ce sera le 58e anniversaire de sa mort, et de nombreuses manifestations se préparent. Pas d'autre indication que le plan acheté à l'entrée, Eva a du subir, encore maintenant, l'ostracisme que la haute bourgeoisie de l'époque lui manifestait déjà de son vivant. Je trouve enfin la tombe, déjà fleurie, avec une queue fervente qui déborde dans l'allée voisine. C'est vrai que la pauvre Eva, on ne l'a pas gâtée. Déjà c'est sa troisième escale : une première fois enterrée à Milan en Italie, elle l'a été une seconde fois en Espagne, pour finir ici dans un petit recoin fort mal exposé, peu digne de sa notoriété et de la ferveur qu'elle suscite !

Rencontre sympathique avec des étudiants de Sup de Co Tours.

Je sors du cimetière de la Recoleta, et histoire de ne pas perdre la main question morosité, je pars vers celui de Chacarita, situé à l'autre bout de la ville : "Traîne la pate" prend un taxi et direction Carlos Gardel m'y attend. Il n'est pas tout seul : Carlos Acuña, Paquita Bernardo, Enrique Cadícamo, Francisco Canaro, Julio De Caro, Francisco De Caro, Evaristo Carriego, Juan D'Arienzo, Celedonio Esteban Flores, Roberto Goyeneche, Alfredo Le Pera, Agustín Magaldi, Homero Manzi, Osvaldo Pugliese, Carlos Di Sarli, Ángel Villoldo, Aníbal Troilo : ils sont tous là !

S'ils se réveillent la nuit, je te raconte pas le boeuf !

"Une nuit au Musée", à côté, ça va faire taciturne !

Pauvre Gardel ! Heureusement que je suis là ! Sa clope s'est éteinte et personne pour la rallumer ? Tout se perd mon pauvre monsieur ! N'empêche, l'endroit est très émouvant. Je remarque deux plaques dédiées à Berta Gardel. Ici on ne plaisante pas avec la nationalité de Carlito : il est Français. Je me suis fait engueuler, c'est bien le terme, déjà deux fois, parce que j'avais évoqué les revendications des Uruguayens sur le sujet. Une nouvelle revendication, des Colombiens de Medelin s'est fait jour dernièrement : très, très mal acceptée à Buenos Aires : on ne touche pas à l'idole du Tango. Pour moi, pas de fierté particulière à ce que l'on soit compatriote ou non, un homme ne vaut pas par l'endroit où il est né, mais par ce qu'il a fait durant sa vie.

 

Bon. Qu'est-ce que fais ? Si je continue comme ça, je vais moi aussi finir en statue de pierre. Il est temps de reprendre le dessus : demain je vais voir, Olga, notre prof de la Real, et je lui demande l'adresse d'un ostéo. Ensuite on s'occupe du reste du corps, on finira par l'esprit. Je traverse la rue, à la sortie du cimetière et découvre : " El Imperio ". Je vous épargne la photo de la "petite" pizza dont je n'ai pu manger que la moitié tellement elle était copieuse, mais je ne peux résister à vous faire partager un de mes sujets d'étude comparative sur les glaces, à Buenos Aires.

Vous l'avez compris : il s'agit uniquement de curiosité culturelle, la plaque sur le mur en apportant la preuve !

Le psychodrame Maradona continue et tourne en boucle à la télé. Les autobus s'occupent tranquillement à écraser quelques passants, chaque jour dans la ville ... la vie continue...

 

Et la musique ?

Elle est partout, comme toujours. Dans les Milongas bien sur, mais aussi dans la rue, les magasins, restaurants et ... au cours de musique. Cela fait bien cinquante ans que je sais ce qu'est une syncope, mais l'entendre sous différentes formes au bandonéon et au piano, avec les musiciens qui vous en expliquent les subtilités propres au Tango Argentin, c'est pas pareil ! On a apprécié.

 

 

 

Buenos Aires, son charme ...

 

Dans mes deux premiers récits, j'ai déjà parlé de tous ces petits riens qui font le charme de la ville. Des monuments prestigieux côtoient des lieux incertains pleins d'imprévu et de poésie. L'imprévu est la règle pour quiconque accepte de sortir des guides et des sentiers battus. De toutes façons les guides ... M'étant renseigné sur un site apparemment très officiel, sur la Feria de Mataderos, j'y apprend qu'en l'occasion du 200ème anniversaire de la naissance de l'Argentine, il y aura trois jours de Feria au lieu du seul Dimanche. Comme le vendredi il a fait mauvais, et que la pluie est annoncée pour le Dimanche, je décide d'assurer, et d'y aller Samedi. Arrivé sur place, point de Feria, et je traîne un peu entre bars et restaurant. Je me retrouve ainsi à suivre un match entre l'équipe Boca Junior et des extérieurs : question ambiance on se croirait à Marseille. D'ailleurs, moi qui ne suis pas fana de foot, j'ai suivi le derby Marseille - PSG à la télé. Revisité par la faconde et l'exubérance des commentateurs Argentins, le foot à la télé prend ... nous dirons : une autre dimension ! Dans un endroit plus calme, un café au bar " Oviedo " me permet de me familiariser avec les techniques du domino local. Bien décidé à ne pas être venu pour rien, je tente un entrée au Musée. Las ! A mon arrivée, grand déménagement de chaises, et installation de tables, dehors, devant l'entrée. Je m'enquiers. On me renvoie vers le Directeur qui m'apprend que le Musée est fermé aujourd'hui (!) mais, vu que j'ai l'air motivé, il me promet de me l'ouvrir spécialement pour moi. Le remerciant je lui demande à quelle heure. Il me répond qu'il y a une petite cérémonie devant l'entrée, que je suis invité cordialement à y participer, et qu'ensuite il me fera une visite privée.

 

Tant de sollicitude me touche, et je ressort en sa compagnie.

Entre-temps les tables s'étaient transformées en autel, et je me retrouve coincé à suivre une messe, spéciale, par une température plafonnant à environ 6°, et dédiée à Saint Pantaléon (ça ne s'invente pas !). Moi qui suis totalement athée, j'avoue avoir été sensible à la ferveur de ces gens. A un certain moment tout le monde s'est pris par la main, moi compris, et un peu plus tard, pendant la messe, s'est instauré un espèce d'Abrazo collectif.  A un autre moment tout le monde embrasse tout le monde sur les deux joues. Le curé, plein d'enthousiasme, et me voyant un peu isolé, délaisse son autel et m'embrasse copieusement . Après une bénédiction individualisée pour chacun d'entre nous, qui compte tenu de l'enthousiasme toujours débordant de l'officiant, s'est transformée en une véritable douche glacée, tout le monde s'embrasse de nouveau, et on rentre les chaises. Plus d'une heure coincé en plein froid, agrémentée d' une solide collection de microbes refilée par toutes les mamies qui toussaient et m'ont sauté au cou (microbes tous bénis toutefois), si je ne suis pas malade demain ... il y a des jours ...

Finalement, chose promise étant due, j'ai droit à ma petite visite. Le directeur, fort courtois, m'allume toutes les salles, et sachant que je suis Français, me conte toute l'histoire de Jacques de Liniers, qui comme chacun sait, fut Vice-Roi du rio de la Plata. Le Directeur me dit être en relation avec les descendants Français actuels, vivant principalement à Niort , ville d'origine de cet homme hors du commun.

 

Mal entamé, ce Dimanche reste un excellent souvenir en compagnie des habitants de ce quartier.

Le problème c'est qu'avec tout ça je ne peux quasiment plus marcher, et j'ai une démo dans quatre jours ...

 

Une bonne adresse !

En parlant de démo, il faut acheter une robe pour Magali. Une robe de Tango, on ne sait pourquoi, ressemble presque toujours à un recyclage de vieux rideaux. Sous prétexte de faire "habillé", on propose aux femmes des oripeaux qu'elles n'oseraient jamais mettre dans la rue, par peur du ridicule. Je passe sur les jupes fendues jusqu'aux oreilles découvrant ce qu'il faudrait parfois mieux ... bien cacher. Bref, si dans une Milonga de Buenos Aires vous voyez une créature quinquagénaire ou plus, paraissant sortir tout droit d'un délirium d'adepte du LSD, vous pouvez parier qu'il s'agit d'une touriste, et si elle bat des records, elle a des chances d'être Américaine (à Marseille on en a qui ne sont pas mal non plus ...). Chez les jeunes cela va nettement mieux, d'autant que la mode vestimentaire du Tango, surtout dans le milieu dit "nuevo", est totalement différente. Bref, après avoir vu quelques horreurs proposées dans les boutiques de chaussures, et avoir délaissé les vêtements de DNI, fort sympas, mais pas dans le style recherché, nous avons trouvé, la bonne adresse. A l'angle de Lavalle et d'Anchorena tout près du Centre commercial Abasto et de la petite rue Carlos Gardel, une petit boutique tenue par un jeune tailleur sympathique, et où on trouve de tout : du très traditionnel au moderne. En plus, il confectionne lui-même et peut vous la mettre à longueur pratiquement sur le champ. En moins d'un quart d'heure, nous avons trouvé ce qu'il faut pour la Confiteria dans quelques jours.

En sortant nous en profitons pour aller faire un tour au petit musée Carlos Gardel, situé non loin de là.

Sale quart d'heure !

Olga la prof de la Real, m'a donné l'adresse d'un ostéo. On est Mardi, hier j'ai gardé la chambre, et Jeudi je suis en démo. Je flippe comme un malade, car entre ma jambe et mon logement horriblement bruyant où je prends mon sommeil par tranches de trois heures, je me sens dans une condition physique épouvantable, et particulièrement raide. J'espère que le gars va me remettre d'aplomb. Format petit pilier de rugby, il attaque d'entrée et je me retrouve en arc de cercle sur sa table de massage. En fait il n'est pas du tout ostéo, mais plus proche d'un kiné. La torture va durer une heure et demi, et en sortant de ses mains j'ai l'impression d'avoir passé la nuit à faire l'amour avec une moissonneuse-batteuse ! Comme cela ne suffit pas, et qu'il est très inquiet de l'état de ma jambe, il me prescrit une piqure d'un anti-inflammatoire puissant, et me fait accompagner (je ne tiens pas bien sur mes jambes) par sa secrétaire jusqu'à la pharmacie la plus proche. Nouvelle épreuve : entre la piqure effectuée avec toute la délicatesse du hussard moyen, et la brûlure du liquide, je me sens bon pour le magasin 17 (vieille expression de marin née sur les "Liberty ship" de la dernière guerre, lesquels étaient dotés de 16 magasins de rangement des pièces détachées : le 17 c'était donc  ... "jeté à la mer"). Je rentre et je me recouche. A la télé ... Maradona ! Longue nuit sans sommeil, mais le lendemain tout va nettement mieux. Je réalise combien le kiné et le personnel de la pharmacie ont été gentils avec moi ... même si le gars avec des lunettes autour du cou et qui rigole sur la photo, m'a fait un superbe hématome à la fesse ! Le moral remonte en flèche. Le kiné m'a ordonné de rester cinq jours sans bouger, donc aujourd'hui je reste sage, demain j'assure la démo et de toutes façons j'ai une deuxième séance de prévue Lundi prochain, juste avant de rentrer en France.

Ce soir, comme je ne peux pas danser, je décide de jouer les touristes et d'aller faire un tour dans un spectacle Tango. En fait depuis que je viens à Buenos Aires, je n'en ai jamais vu un. Pour moi le Tango est ailleurs, mais pour une fois ...

Pas envie d'un grand truc, le "Bar Sur" à San Telmo, sera parfait : petit, intime, de qualité, et il n'est pas obligé d'y manger, boire un verre suffit.

Pendant ce temps ... Bébé va bien

Magali est venue avec son petit dernier, dernière devrait-on dire. Bébé Chloé, est adorable : on la sort partout ; elle prend la tétée sans broncher dans les Milongas, entre deux Tangos et assiste au cours avec toujours la risette aux lèvres. Un amour. Si, plus grande, elle se met au Tango, je pense qu'elle n'aura pas de problème d'écoute ou de rythme. 

Le Bar Sur

Jouez les touristes est ... reposant. l'impression d'être une valise, totalement pris en charge sans penser : très reposant. Mes sentiments par rapport aux visiteurs qui découvrent la ville et le tango par le biais des multiples "promènes-couillons" qui pullulent, vont de l'envie à la pitié : pitié car ils ne verront strictement rien d'authentique, envie parce que ne pas penser, ne pas chercher, c'est le repos absolu. A Buenos Aires, j'ai du mal, mais je vais me forcer. Je me force donc, et ... n'y arrive pas. Après avoir regardé tous les programmes des shows de la ville, rien ne me fait envie : trop artificiel. Me rabattant sur les conseils du Routard (je m'en méfie un peu, mais quelque fois il y a des trésors dans le guide), j'opte pour le "Bar Sur" à San Telmo, réputé plus authentique et moins ... industriel. Effectivement c'est tout petit, une dizaine de tables tout au plus et une piste de quinze mètres carré. Nous sommes ... trois. Deux jeunes et charmantes Allemandes travaillant au Brésil, et moi. Nous serons rejoins un peu plus tard par un jeune couple de Brésiliens en voyage de noce. Pas de repas proposé, vu l'affluence, deux empanadas feront l'affaire.

Le spectacle commence. Finalement pour un si petit lieu, il y a du monde qui défile, et de qualité : trio de musiciens, bandonéoniste solo, chanteuse et, tiens, le couple que j'ai vu la semaine dernière à la Confiteria. Ils sont Colombiens. A la fin du show, la danseuse m'invite pour un Tango. Elle danse divinement bien. Je fais bonne figure sur le premier Tango, mais renonce au deuxième, ma jambe recommence à tirer. Son cavalier, jaloux comme un tigre, me tombe dessus, et me provoque quand je lui donne ma carte et qu'il y voit "professeur de tango". Il me sort une série de pas et figures dans le style salon, et me demande de les exécuter. Le prenant de haut, je lui dit que sa séquence (extrêmement sophistiquée) est "basique" et lui demande s'il connait... l'ocho cortado. Ignorant son air méprisant, je prends sa cavalière et au moment où elle ne s'y attend pas, récupère sa jambe avec la mienne, et l'expédie en l'air façon grand écart. Le public fait Oh ! La cavalière fait Oh ! Le barman fait Oh ! Les musiciens font Oh !... et tous applaudissent. S'ensuit une engueulade entre la femme et son mari. Elle lui explique que si j'ai remis ma carte, c'est pour qu'elle me donne son mail pour lui envoyer les superbes photos que j'ai pris de leur démo.

Je sors de l'établissement, le danseur me cours après... Je serre les poings... En fait il vient me présenter ses excuses, et m'invite à boire un verre. Jaloux mais gentleman. Je décline, fatigué et mal à la jambe, en lui promettant de l'accepter dès qu'on se retrouvera dans la milonga qu'il fréquente après ses spectacles.

Malgré tout, je rentre tôt, un peu inquiet... j'ai mal...

 

Destination Finale ... !

Vous avez vu ce film assez nullar, mais bien ficelé au niveau de l'enchaînement des petits riens qui induisent de grosses catastrophes ? Et bien j'ai eu droit à un remake personnel. D'abord ma jambe : rien ne vas plus, je me bourre de médicaments. Heureusement une élève, m'avait donné ce qu'il fallait en attendant que je fasse le tour des pharmacies. Maintenant je suis paré. Paré également au niveau des chaussures : Hernan m'a mis en garde, le sol de la Confiteria est en marbre et certains soirs, c'est une véritable patinoire. J'arrive avec deux paires de chaussures. Les anti-inflammatoires et une bonne dose de Whisky font que la douleur s'atténue : ouf ! Je ne vais pas faire la démo de ma vie (je me sens raide comme un passe-lacet), mais je vais pouvoir assurer. Mon moral remonte de façon inversement proportionnelle au niveau de ce qu'il y a dans mon verre.

Et c'est là que : "destination finale" ...

Je suis arrivé dés l'ouverture pour essayer mes chaussures : j'en ai deux paires, une pour sol glissant, l'autre pour sol normal. J'essaye. Le sol est nickel, enfin une bonne nouvelle. Magali arrive, on fait quelques tangos, tout va bien, quelques spectateurs applaudissent, encourageant. Mais ce sont des Tangos ... à petits pas. On va se rassoir, et c'est là que la catastrophe arrive : un orage diluvien. La particularité des vieux Tangueros c'est qu'ils arrivent chaussés, et ils vont amener toute la boue de l'extérieur. Et pendant qu'insouciant, je blague avec mes amis et que bébé prend sa tétée, la piste se transforment en véritable patinoire, sans que cela se voit.

L'heure est arrivée, la démo commence, moi toujours aussi raide, assez confiant  ... mais j'ai gardé les mauvaises chaussures. Hélas après quelques secondes, mon mauvais pied glisse et je ressent une vive douleur à la jambe gauche sur laquelle je viens de forcer (j'ai caché cette glissade derrière le titre sur la vidéo, chaque fois que je la revoie, je prends les "boleadoras") la douleur est insupportable, surtout ne pas le montrer, sourire de théâtre de rigueur.

Hélas, après quelques pas, la douleur m'obscurcit le cerveau, je n'entend plus la musique, j'abandonne. J'en aurais pleuré. Les Argentins, adorables, viennent me réconforter. Certains ne m'ont jamais parlé avant, mais me connaissent de vue. Un habitué, bon danseur et chanteur de surcroit, me serre dans ses bras. Tout le monde trouve le petit mot qui réconforte. Simplement je suis à la fois chagriné et en colère, je voulais faire plaisir à Marcello et à Hernan.

Au retour, après un voyage des plus pénibles, il me faudra, après des soins et remise en état de la bête, huit jours quasiment pour recommencer à marcher presque normalement, et encore un mois après j'ai toujours mal. La cause  ? Le déplacement d'un os, L'Astragale, qui a mis la panique chez ses voisins, cunéiformes et cuboïde (à moins que ce soit l'inverse), le tout combiné avec l'action, complètement déréglée, de ce fait, de mes semelles proprioceptives, os qui m'ont écrasé le sciatique, bloqué les  flexions et extensions du pied, la liberté de rotation du genou, bloqué le fessier, et coincé les lombaires ! Excusez du peu !

Et il parait que j'ai eu de la chance : je suis passé pas loin de la déchirure ligamentaire. Je savais bien que j'étais un veinard ... !!!

Hasard  ou clin d'œil du destin, en trainant lamentable la patte dans la brocante de mon village, dans la Sainte Baume, j'ai trouvé cette carte postale qui date du début du siècle précédent (1924 ...), et qui vante les mérites de L' "Urodonal", qui permet aux danseurs de pratiquer malgré leur ... sciatique.

Le gag ................... !

Renseignements pris l' "Urodonal" soignait également, l'obésité, était utilisé contre la douleur, les coliques néphrétiques, l'arthrose, les reins et servait également de produit de beauté ! Dommage que ce produit n'existe plus, j'en aurait commandé une caisse, il m'aurait probablement remis sur pied pour les cours et m'aurait peut-être même fait repousser les cheveux, et rendu beau ... pour les démos !

En attendant il va falloir assurer les cours à la rentrée ...

 

Je Zone ...

Le lendemain, impossible de faire trois pas. Je squatte un taxi et tourne dans BA en essayant de me changer les idées. Je découvre ainsi des lieux simples de la vie de tous les jours, qui sont autant de belles images. Buenos Aires ne se lasse pas de me surprendre.

Toute la journée en taxi, cela va me couter cher. Je tente le métro, et piste les places assises. La station Malabia, va s'appeler "Osvaldo Pugliese". Plus de 30 000 signatures des habitants du quartier ont soutenu le projet. Il est vrai, qu'outre le fait qu'il était un génie du Tango, sa vision de la vie, et ses actes, comme ses idées, ont fortement marqué ses concitoyens

Rappelons qu'Osvaldo Pugliese pratiquait un socialisme actif, partageant à égalité tous ses cachets avec ses musiciens, et qu'il avait créé la première caisse de retraite pour les artistes de la musique. Un exemple à suivre, très populaire dans le quartier.

Ci-contre, une image du journal "La Razon", compagnon fidèle de mes petits déjeuners :

A la sortie, Diagonale Norte, rencontre avec deux sympathiques Portenos. Elle tient une petite boutique de brocante où j'achète quelques affiches pour décorer l'école. Lui, huit ans dans la Marine (tout de suite ça crée des liens entre collègues de métier), connait un peu la France. Long moment d'échanges chaleureux.

A la télé, Maradona et Bilardo (le président de la Fédération Argentine de Football), après s'être copieusement accusés de mensonges et de trahisons, se réconcilient façon Comedia del Arte.

Trois semaines que dure le psychodrame ! Les Argentins en redemandent !

 

(Photo journal "La Razon")

Dans le conflit entre la Colombie et le Venezuela, Chavez continue à faire le Fada ...

 

Fin positive

 

Mes séjours à Buenos Aires, même si j'y pratique un tourisme actif, sont toujours basés sur des raisons professionnelles. Cette année, sort la première promotion de Professeurs de Tango, formée par la Real Academia. Je suis là pour surveiller le bon déroulement. Au début du stage, quinze jours plus tôt, les professeurs Argentins étaient un peu inquiets, le niveau des élèves dans les Milongas paraissait avoir régressé par rapport à l'an dernier. Il est vrai, comme l'a dit Olga Uralde, que c'est la première fois que des Argentins délivrent un diplôme de professeur de Tango à des étrangers, depuis que le Tango existe ! "Nous sommes en train d'écrire l'histoire !" Et ils ont un peu la trouille. Certes de petites formations se sont mises en place un peu partout dans la ville, à usage des professeurs étrangers, mais aucune ne réunit une telle équipe, et n'offre une telle densité de formation : 450 heures ce n'est pas rien ! Pourquoi cette apparente "régression" ? C'est vrai qu'en troisième année en France, j'ai beaucoup insisté sur la préparation des cours, et, en danse, sur le Tango à distance, dit "nuevo". Mais normalement, compte tenu de la philosophie du tango inculquée aux élèves, qui dit que : "un bon professeur, comme un bon danseur, doit être à l'aise aussi bien en Abrazo cerrado, qu'à distance", le style des Milonga de Buenos Aires, ne doit pas être oublié et vite revenir. Hernan et Olga s'y emploient avec ardeur. Ils sont secondés cette année par Luciana Rial. Talentueuse, son cours est tout simplement excellent.

En plus, elle parle Français : si vous passez à Buenos Aires ... Application dans les Milongas les plus traditionnelles qui soient : "Cachirulo" avec placeur et chef de piste qui distribue des cartons jaunes si vous vous comportez mal en dansant ! On croit rêver ! Après deux semaines, le niveau en tango traditionnel est nettement remonté, et nos élèves invitent et se font inviter sans problème. Le lendemain de l'examen, certains ont étés présentés à plusieurs professeurs Argentins, très curieux de voir les nouveaux promus : examen satisfaisant. A propos d'examen, les pauvres élèves ont eu leur dose. Déjà en France, ils avaient passé trois épreuves, un questionnaire, une analyse de défaut sur vidéo, et une présentation de cours. Ici, à Buenos Aires, épreuve de compréhension des mouvements, de reconnaissance musicale, de composition chorégraphique, et de danse, dans les deux rôles pour certains. Autre particularité : considérant qu'un professeur, aussi bon pédagogue soit-il doit également donner une image digne de sa profession, le Diplôme est susceptible d'être passé en deux temps : une réussite à l'examen, et une période de probation, de durée variable, sur un point donné qui fait défaut, avant délivrance totale. Deux élèves sont ainsi en probation, l'un pour l'aspect danse, l'autre pour un problème rythmique. Point d'intérêt économique dans cette approche (les élèves peuvent refaire gratuitement n'importe quelle semaine de stage, et le voyage à Buenos Aires n'est pas imposé), mais une exigence de qualité, bénéfique à tous. Le dernier soir de la formation, champagne dans un des meilleurs restaurant de Buenos Aires : Almacen, à l'angle de Suipacha et de Corientes. Vous pouvez voir les premiers Diplômes en Tango Argentin formés par la Real Academia en cliquant ici.

 

Photo ci-dessous : une partie des Diplômés de la promotion "Pavadita".

 

Quand on s'emm...

Que faire, quand on ne peut rien faire ? Rien ! Comme ma partenaire Magali, son homme et son bébé m'ont dit qu'ils allaient faire un tour à La Boca, pourquoi pas y faire un tour ? C'est vrai que La Boca, une fois ça va, mais après : bof ! Finalement je trouve un petit coin pour manger au soleil, et me branche avec un couple d'amoureux argentins, originaires de Salta. Tous les ans le quartier n'en finit pas de s'étendre. Après le repas je marche, en claudiquant un peu, vers le pont Nicolas Avellaneda. En principe la promenade est totalement sécurisée, et je pars insouciant. Sortis de nulle part quatre jeunes m'abordent. Deux erreurs et un signe distinctif font de moi la proie apparemment idéale : première erreur, j'ai l'appareil photo à la main ; deuxième erreur, j'ai une cigarette à la bouche, prétexte idéal pour le stratagème, vieux comme le monde, qui consiste à demander une cigarette avant d'attaquer ; signe distinctif, je boîte : impossible de courir vite. J'ai tout du papy sans défense. Je sors mon paquet, et pendant que je distribue, des mains plongent vers mes poches. C'était pas le jour : je suis d'une humeur !!! Même avec une jambe de bois je suis bien décidé à rentabiliser les années passées sur les tatamis, et à en exploser un ou deux, quitte à me faire massacrer après. Ma main part encore plus vite et s'arrête à quelques millimètres du nez du plus costaud. Ce sont des gamins, quatorze quinze ans tout au plus. ""Largúese !" Ils me regardent étonnés, n'insistent pas et s'en vont dépités. L'un d'entre eux se retourne même pour me remercier avec un sourire sympa, pour la cigarette. Deux flics, totalement patibulaires rappliquent d'ailleurs, le visage exprimant des intentions assez peu eucharistiques. Rien de méchant dans tout ça, mais le fait que cela se soit produit en pleine zone sécurisée est révélateur d'un climat de plus en plus tendu dans la ville : les statistiques font état d'une augmentation de 50% des vols avec violence.

La mondialisation et la crise sont passées par là. Tous les jours on annonce des augmentations pharamineuses : + 22% sur les péages d'autoroute, +20 sur les gaz, etc. Bilan de 2009 : 25 % d'inflation. Bien entendu les salaires ne suivent pas. Que ça explose un jour ou l'autre dans le pays, je n'en serais pas, outre mesure, étonné. ... Une fois de plus ...

Derniers jours

Les trois derniers jours se passeront donc, sans danser évidemment. Je suis allé néanmoins, dans des lieux où l'intérêt, toujours lié au Tango se situait ailleurs. Le plus improbable : "La Cathédral". Tenue et animée par des musiciens, le niveau des bandos, chanteurs et autres guitaristes qui s'y produisent est de haute qualité. La décoration louvoie avec bonheur entre le kitsch et l'avant-gardisme, avec un côté très bohème : excellent pour y prendre un verre, surtout que le patron, sympa, le sert avec générosité.

Comme personne n'y sait danser, et ne s'aventure sur la piste, je me noie dans le paysage général.

Dernier soir à Gricel où j'accompagne les premières années de la nouvelle promotion qui prend la relève.

 

 

Un peu de philosophie dans l'avion du retour

Dans l'avion du retour, comme je n'arrive pas à dormir, les pensées se télescopent. Satisfaction et regrets, bien entendus. Lequel de ces deux sentiments prendra le dessus pour tirer un bilan de ce voyage ? J'essaye de positiver et de concentrer le peu d'activité cérébrale que la douleur lancinante autorise. Pas beaucoup de neurones encore en activité, on va faire avec.

La formation donc : le bilan est très satisfaisant. Certes, par rapport au nombre d'inscrits en première année, la moitié seulement est arrivée au bout. Mais si on enlève les démissions liées au changement de situation familiale et professionnelle, ainsi que la maladie,  sur huit élèves, cinq sont arrivés en fin de parcours. Trois ont eu leur diplôme directement, deux sont en probation. Pas si mal, pour une première expérience. Bien sur, qui dit première promotion, dit remise en question, par les enseignants et moi-même, de certaines idées et certitudes du départ, devenues relatives à l'arrivée. Et c'est là que le message devient intéressant. Message tout d'abord, vis à vis des élèves. Tout parcours d'étude se terminant, doit être considéré comme le départ d'un nouveau parcours d'apprentissage. Et en matière de pédagogie, on peut être considéré comme le meilleur professeur de Tango ou d'autre chose, on en apprend tous les jours. Que ce soit "le Doute est la voie vers la certitude", traduction de l'écrivain rationaliste Arabe, Al-Jahiz (environ 750 après JC), ou, dans la philosophie Occidentale , "Dubito ergo sum" de notre ami Descartes (1637), douter de ce qui parait évident, est toujours le premier pas vers la découverte de ce qui est à priori, caché à notre entendement. Un grand professeur, doutera toujours de sa méthode, sinon il n'évoluera jamais. La statue de la place San Martin, intitulée "Le Doute", sera donc le symbole de ce que j'aurais essayé d'inculquer aux élèves, comme ligne de conduite pour l'avenir de leur fonction d'enseignant.

A titre personnel, cette certitude d'avoir à remettre en cause en permanence l'enseignement de l'Institut, est le moteur nécessaire à la continuité de mon action. Quel intérêt, une fois qu'une création est terminée, à continuer à travailler dessus ? Pour moi aucun, et ma tendance naturelle serait de passer la main et de m'intéresser à autre chose. Hors cette remise en cause permanente, intrinsèque à la fonction d'enseignant, me motive à continuer, et je suis bien décidé à cultiver le doute et multiplier les sources diverses d'information, pour faire évoluer l'Institut. La fin n'est qu'un commencement et cette pensée me redonne de l'ardeur.

Pour occuper le temps qui n'en finit pas de s'écouler, je parcours les photos prises pendant le séjour. Je revoie l'image de mon cartonero. Là, j'ai le choc : moi, nanti, possédant tout ce qu'il n'aura jamais, me prenant la tête avec des problèmes sans commune mesure avec ceux qu'il doit sans doute, quotidiennement affronter, je serais malheureux parce que j'ai du écourter une démonstration de Tango ? J'ai honte ! Le doute ne suffit pas, il faut savoir relativiser, remettre dans un contexte plus général, tous les problèmes et situations qui nous perturbent. Ça je devrais le savoir depuis longtemps.

En fait, le temps de la vie ne suffit pas pour apprendre à vivre.

Merci monsieur le cartonero pour la leçon ... et finalement, il ne fut pas si mal ce voyage ...

 

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